Préparé par Jean-Philippe Deneault
Parution originale dans L’Eau vive, 2017
Jean-Sébastien est un artiste en arts numériques et sculpteur, dont la pratique cherche à ouvrir de nouvelles pistes de création artistique reposant sur l’expérimentation interdisciplinaire. En collaboration avec des scientifiques en médecine et en biologie évolutionnaire, il a recours à des techniques d’imagerie 3D et à des outils comme le synchrotron (le plus puissant microscope au Canada) afin de numériser des organismes microscopiques et de créer ses œuvres en utilisant ces images comme matériel. Nous l’avons interviewé pendant une escale à l’aéroport de Winnipeg.
D’où viens-tu ?
Je suis né à Saskatoon, sur le territoire du traité six, ma famille maternelle est établie dans la région depuis 3 générations, et mon père est saguenéen. J’ai grandi dans la banlieue de Saskatoon et à l’âge de 14 ans ma famille et moi sommes déménagés à Martensville sur la ferme et les ateliers de la fonderie de mon grand-père maternel, le sculpteur Bill Epp (1930-1995), suivant son décès.
Les prairies canadiennes t’évoquent quoi ?
L’horizon, l’horizontalité et la possibilité de changement. C’est une base à partir de laquelle on peut attendre patiemment et agir rapidement.
Que penses-tu de Saskatoon ?
Comme c’est mon lieu de naissance, j’y associe une grande variété de souvenirs personnels dans différents lieux de la ville. C’est un endroit où il fait bon vivre et y trouve beaucoup d’entraide et de possibilités à l’intérieur d’une communauté artistique foisonnante. Venant moi-même d’une famille d’artistes, j’ai été témoin, au fil des années, de la conception et de l’installation d’œuvres d’art. C’est la seule ville où je peux dire que j’ai pu observer les effets et le passage du temps sur plusieurs œuvres que j’ai vu créé (par mon grand-père) comme enfant. Comme sculpteur s’intéressant aux œuvres d’art public, Saskatoon et ses environs sont, au final, le seul lieu où je suis en mesure d’être témoin, sur une échelle de temps, de la force de l’âge sur la matière.
Comment ça se passe dans ton atelier ? Quelles sont les étapes dans la réalisation d’une œuvre de Jean-Sébastien Gauthier ?
J’occupe simultanément deux lieux de création. Mon bureau où se trouve mon ordinateur et la fonderie en campagne. En fait, je considère l’ordinateur comme un espace en soi, où il est possible d’encoder, créer, expérimenter, tester, interagir et façonner une matière qui se donne à moi sous forme de données numériques (vidéo) et enfin stocker et archiver mon travail. L’idéation, la planification et le traitement des images que je crée prennent place et forme dans et grâce à cet espace, qui s’apparente à un terrain de jeu pour l’imaginaire, où éditer en vidéo devient un peu comme dessiner, faire une esquisse. L’atelier à la ferme me permet de manipuler physiquement une matière et d’en observer la transformation. D’ailleurs, je garde plusieurs tests en archives, qui sont, en quelque sorte, les témoins de différentes configurations et possibles.
Quels types de sentiments t’habitent avant, pendant, et après la création d’une œuvre ?
D’abord pour toutes les étapes, il y a le doute et la crainte de l’inconnu, qui sont des sentiments consistants. Très rapidement, il s’agit de se ressaisir. La curiosité, l’évaluation critique et le désir d’engagement sont les meilleurs antidotes à ces sentiments initiaux. La création est une chose très pratique et stratégique dans laquelle l’on doit s’assurer d’ouvrir les possibles et s’offrir des choix. Une fois l’œuvre complétée, il reste souvent de l’insatisfaction. En revanche, c’est une chose très rare, mais récemment j’ai ressenti de la satisfaction à l’égard de mon travail. C’est un grand bonheur. La relâche de la tension à la fin d’un projet me permet de renouveler mon optimisme à l’égard de possibilités d’avancement et me permet de passer par-dessus les défis liés aux diverses étapes de création.
Quelle est l’idée qui a le plus contribué à enrichir ta propre réflexion sur les arts, en général ou plus particulièrement sur ton propre travail ?
Le sculpteur Robert Morris, une des figures centrales du minimalisme, a introduit dans son essai Anti-Form, le concept de l’entropie (la transformation de la matière avec le temps) en relation à la sculpture. Pour Morris, une sculpture doit être comprise comme étant toujours dépendante du contexte et des conditions de sa création. Au 19e siècle, des artistes comme Rodin et Rosso désiraient à tout prix laisser leurs marques sur la matière, par exemple, en n’effaçant pas les lignes d’un moulage ou leurs traces de doigts. Au 20e siècle, ce qui intéressa Pollock était la matière en elle-même ainsi que le geste de création de l’artiste. Il étudia les marques des outils, les méthodes de confection, et les propriétés de la matière. La forme suit l’idée de celui qui la façonne, mais pas de manière indépendante des propriétés de la matière en elle-même. En résumé, ce sont l’idée de ce que l’artiste aimerait réaliser et la matière qui dicteront son choix du matériau et la portée de ses gestes. C’est une idée libératrice pour moi parce qu’elle propose en somme de rompre avec la tradition en ne reproduisant pas les formes artistiques du passé.
Quel regard ton travail porte-t-il sur la société ?
Actuellement, c’est le cas, mais c’est un regard distant, lequel cherche davantage à entretenir un dialogue avec autrui et aussi avec moi-même. Je cherche d’abord à créer des œuvres qui visent une transformation. Bien que j’ai des valeurs d’inclusion, de partage, mon but n’est pas de créer des œuvres à des fins politiques ou sociales, mais de favoriser l’échange entre humains, et de mettre au défi leur mainmise et monopole sur la matière. Je souhaite donner lieu à des modes de pensée et de faire empreint de compassion.
D’après toi, qui s’intéresse à ton travail ?
Surtout mes paires du milieu des arts et les jeunes à qui j’ai eu l’occasion de partager mon travail. En fait, le principal intéressé est moi ! Bien que mon travail ne porte pas sur moi en tant que sujet, je dois trouver mon travail intéressant. L’expérience artistique est justement cela, une expérience, que je dois synthétiser et traduire en une œuvre qui sera intéressante et nouvelle. Au fond, je suis toujours le premier spectateur et critique de mon œuvre.
Quelles sont les répercussions de ton métier d’artiste professionnel sur ta vie, celle de tes proches et de ta communauté ?
Être un artiste professionnel demande beaucoup de temps, d’intensité et d’assiduité à l’ouvrage. C’est un métier comme un autre, je me lève le matin, je me prépare un café, et je me mets à la tâche. Il y a des répétitions, des horaires, et des obligations. La poète Maya Angelou disait « Nothing will work unless you do ».
Quels artistes te sont une source d’inspiration ?
Comme j’emprunte dans mon travail un procédé expérimental, les membres de la communauté scientifique m’inspirent énormément. Leur méthodologie et leur capacité à se placer souvent entre deux mondes sont sources d’inspiration. Sans partager du tout son point de vue sur des questions de « la race », un biologiste et artiste comme Ernst Haeckel (1834-1919) pratiquaient les deux métiers simultanément. Cela force l’admiration.
Quel livre prend une place particulière actuellement sur ta table de chevet ou dans ta bibliothèque ?
Un livre auquel je retourne constamment récemment et qui me sert de boussole est Colliding Worlds: How Cutting-edge Science Is Redefining Contemporary Art d’Arthur I Miller, sur l’impact des technologies et des avancements de la science sur les arts visuels. J’ai même entrepris une correspondance avec lui afin de discuter davantage de ses propos et partager mes dernières créations.
Quelle place prend la langue, d’une part dans ton quotidien, et d’autre part, dans ta pratique plastique ?
Ma recherche et pratique ne sont pas le fruit d’une quête identitaire à proprement parler. Par contre, un concept central à ma création est celui de la traduction. Être élevé par des parents exogames, et d’avoir une identité façonnée par deux cultures, mais aussi ressentir que j’étais assis quelque part entre deux mondes est hautement compatible avec le travail de création qui consiste à chercher à traduire et garder le sens d’idées venant de logiques différentes.
Tu peux nous dire un mot au sujet du collectif Sans Atelier ?
J’ai partagé des ateliers avec certains des membres. Ce collectif, c’est mes paires, mes collègues, ma communauté. C’est un groupe qui émerge comme un lieu d’appui et d’entraide dans cette grande plaine où les gens sont à niveau.
Jean-Sébastien Gauthier et son collègue Dr. Eames au Synchrotron à Saskatoon, SK. photo: Kenton Doupe
j’aime me promener sur votre blog. un bel univers. Très intéressant et bien construit. Vous pouvez visiter mon blog naissant ( lien sur pseudo) à bientôt.
J’aimeJ’aime