photo: Kenton Doupe
Éveline Boudreau est une artiste en art performance qui a participé à de nombreuses expositions et qui a récemment présenté son travail au Canada, aux États-Unis et en Europe.
Préparé par Jean-Philippe Deneault
Parution originale dans L’Eau vive, 2017
D’où viens-tu ?
D’origine acadienne, je poursuis actuellement ma carrière artistique à Saskatoon depuis 35 ans.
Les prairies canadiennes t’évoquent quoi ?
Les prairies canadiennes me parlent du temps, de l’espace et de l’histoire. Consciente que le multiculturalisme prend aujourd’hui de l’ampleur, je suis préoccupée par l’assimilation anglophone et je m’inquiète de la situation de la langue française et de la culture francophone.
Que penses-tu de Saskatoon ?
Jeunes et innovatrices, les villes de l’Ouest canadien sont intimement liées à l’économie agricole et pétrolière. À Saskatoon, l’Université de la Saskatchewan a un rôle très important pour tous et sa contribution artistique est primordiale pour chacun.
Comment ça se passe dans ton atelier ? Quelles sont les étapes dans la réalisation d’une œuvre d’Éveline Boudreau ?
Mes œuvres sont conçues et exécutées selon mes besoins, désireuse de m’exprimer au sujet de certains aspects sociaux. Lorsque je prépare un projet, je dois d’abord le développer sur le plan des idées puis cerner le lieu où le projet sera concrétisé. Dans notre monde où l’adaptation rapide à de nouvelles situations est requise, quelques thèmes me captivent tels que les enfants et la technologie, le plastique dans nos vies de tous les jours. Je m’arrête principalement sur la question identitaire et la cause des femmes.
J’utilise présentement la voie de la performance, un art vivant qui se développe dans le temps réel, imbu de la présence de l’artiste. En général, j’assume une présence active dans la sphère publique, j’adopte parfois une approche plus ou moins théâtrale et ludique, ayant comme but de converser, d’échanger.
Quels types de sentiments t’habitent avant, pendant, et après la création d’une œuvre ?
Depuis maintes années, je suis heureuse d’aborder la question identitaire et plusieurs installations et performances en ont été le sujet. J’étais intriguée par mes liens familiaux, mes origines. Puis, consciente de l’importance des organisations artistiques, ma créativité s’est atténuée pendant quelques années, et je suis devenue impliquée au niveau local, provincial et national. Ensuite, j’ai repris avec grand intérêt le thème de l’identité, mais cette fois-ci lié à nos rapports aux autres, au fait que nous existons de plus en plus dans l’interface. J’ai découvert et demeure passionnée par cette notion identitaire en lien avec l’informatique. Que ce soit avant ou pendant mes performances, des processus intéressants sont en marche, ainsi qu’après. Et je suis heureuse de pouvoir participer à la conférence annuelle internationale, The Arts in Society, où la vie d’aujourd’hui est présentée. Ce lieu de partage me permet de m’exprimer et de questionner ma pratique liée à la vie de tous les jours.
Quelle est l’idée qui a le plus contribué à enrichir ta propre réflexion sur les arts, en général ou plus particulièrement sur ton propre travail ?
Les arts d’aujourd’hui et les arts très anciens contribuent à ma réflexion en général. À la suite de mes études universitaires aux Beaux-arts, la connaissance de la performance s’est affirmée et mon désir de la pratiquer a pris le dessus. Une interaction avec les gens dans la sphère publique me plaît, sans grande présentation ni planification officielle – l’art performance met en relief le privé et le public, le présent et le réel, aborde des sujets choisis, permet de m’exprimer et de questionner certains éléments de la vie de tous les jours.
Quel regard ton travail porte-t-il sur la société ?
Je constate que notre société est sujette à d’importants changements. Un sujet qui m’est très cher présentement est relié au fait que nous existons de moins en moins dans le réel et de plus en plus dans l’interface, l’écran. Tout en créant une distance, en nous rapprochant à distance, ceci nous force à redéfinir notre rapport au monde.
photo: Kenton Doupe
D’après toi, qui s’intéresse à ton travail ?
Par l’entremise de la performance, les gens sont amenés, eux, de façon consciente ou non, identifiée ou non, à se lier à ma pratique artistique. Mes projets performatifs prennent surtout place dans des lieux publics et la participation des gens est intrinsèque. Lors de mes projets performance, certains participent de façon anonyme et d’autres reconnaissent la situation – un projet artistique ! En règle générale, tous répondent positivement à mes projets et acceptent d’y prendre part. À The Arts in Society les participants sont tous très intéressés et intéressants.
Quelles sont les répercussions de ton métier d’artiste professionnel sur ta vie, celle de tes proches et de ta communauté ?
Être artiste m’est primordial, indispensable. Un travail de création différencié se produit et est en constante transformation. Il se produit chez moi, la performeuse, et chez le spectateur/participant, une transformation sensible accompagnée d’une construction identitaire active. Depuis les années 2000, je suis investie dans un travail solo et collectif (avec participants collectifs) combinant intention et présence furtive. Dans une communication conviviale sous forme d’interrogations, d’anecdotes, et de constats momentanés, j’aborde des questions de l’heure, liées à la vie d’aujourd’hui, je m’implique dans un milieu collectif. Mon art peut être une présence consciente et réelle ou une présence infiltrante et furtive.
Quels artistes te sont une source d’inspiration ?
Il y a d’abord la Québécoise Sylvie Tourangeau qui m’est toujours importante et inspirante. Et il y a les artistes internationaux, dont Marina Abramovic, Yayoi Kusama, Martine Viale, Victoria Stanton, et je tiens à mentionner, localement, Natasha Martina (en théâtre et mouvement) et Linda Duvall (en multimédia).
Quel livre prend une place particulière actuellement sur ta table de chevet ou dans ta bibliothèque ?
Plusieurs livres me sont importants et inspirants. Par exemple, Le théâtre et son double d’Antonin Artaud, Anatomy for the Artist de Sartah Simble. Differencing the Canon de Griselda Pollock, les œuvres de Nelly Arcan et Nancy Huston. En parlant de Nancy Huston et de son livre, Reflet dans un œil d’homme, ouvrage sensible et vibrant d’actualité, Nancy Huston parvient à nous démontrer l’étrangeté de notre société qui nie tranquillement la différence des sexes tout en l’exacerbant à travers les industries de la beauté et de la pornographie.
Quelle place prend la langue, d’une part dans ton quotidien, et d’autre part, dans ta pratique plastique ?
La langue française m’est primordiale. Ainsi, l’écoute de la radio de Radio-Canada m’est importante et quotidienne – nouvelles, entrevues, discussions… C’est une façon de maintenir et d’enrichir mon français tout en me liant avec les Francophones de la Saskatchewan, d’ailleurs au Canada et d’Europe. Grâce à la radio mon atelier se situe, si on peut dire, au plein cœur de la francophonie !
Tu peux nous dire un mot au sujet du collectif Sans-atelier ?
En tant que francophone, dans une province où aucun groupe ni collectif francophone n’était présent, j’ai participé à l’AGAVF en tant qu’individu afin de promouvoir la situation saskatchewanaise et d’assumer une présence francophone. L’AGAVF est né officiellement en 2003. J’ai aussi participé au projet de l’AGAVF, PARALLAX, projet et résidence d’artistes pancanadiens qui s’est tenu à Winnipeg en 2003, en lien avec la construction du nouveau pont. Ma participation à l’AGAVF s’est poursuivie jusqu’au moment de l’entrée officielle du collectif Sans-atelier en tant que groupe francophone d’ici. Bonne continuation et bon succès à Sans-atelier !
photo: Kenton Doupe