Entretien avec Lorenzo Dupuis

DSC_3135photo: Kenton Doupe

Lorenzo Dupuis est un artiste peintre qui travaille au tempéra à l’œuf, un médium très populaire avant la Renaissance.  Il œuvre dans ce médium depuis plusieurs années dû à une sensibilité à la peinture d’huile. Nous l’avons rencontré dans son atelier.

Préparé par Jean-Philippe Deneault
Parution originale dans L’Eau vive, 2017

D’où viens-tu ?

Je suis né à Saskatoon. Mon père était fermier tout près du village de Hoey frappé par l’épidémie de polio ayant sévit en Saskatchewan pendant les années cinquante. Il en est mort soudainement deux mois avant ma naissance. Faisant face à cet imprévu, ma mère a dû rejoindre sa famille à la ferme de ses parents située à Vonda. Comme l’hôpital le plus rapproché se trouvait à Saskatoon, c’est donc là où ma naissance a eu lieu. Quelques mois après ma naissance, vu qu’ils étaient très nombreux dans la maison de mes grands-parents, ma mère a dû déménager à Prince Albert. C’est à Prince Albert où j’ai passé mon enfance et mon adolescence.

Comme jeune adulte, après avoir fait des études en Beaux Arts, j’ai passé deux ans et demi en Afrique centrale. Cette partie de ma vie m’a beaucoup formé. Même s’il y a longtemps depuis que j’ai quitté l’Afrique, je ressens toujours en moi les découvertes que j’ai faites dans ce merveilleux continent.

Les prairies canadiennes t’évoquent quoi ?

Les prairies me sont très importantes. Pour moi, c’est de l’espace, du vide, la réflexion et de la lumière. Le restant de la planète me paraît sombre par rapport aux prairies.

Que penses-tu de Saskatoon ?

J’adore ma ville. Elle est la plus belle parmi plusieurs belles villes de l’Ouest canadien. C’est surtout la rivière et les rives qui me plaisent. J’habite un quartier près de la rivière et ceci me permet de facilement retrouver la nature. Les diverses communautés qui m’entourent sont aussi très agréables et importantes. L’aspect multiculturel de Saskatoon m’enrichit énormément. J’ai des amis des premières nations, de Chine, de Vietnam, d’Afrique et de plusieurs autres groupes ethniques. C’est très excitant parce que nous sommes en train de créer la culture d’une ville ensemble. Finalement, pour moi, Saskatoon contient une communauté qui est riche en artistes qui s’entraident et qui démontrent une grande générosité les uns envers les autres.

DSC_3213photo: Kenton Doupe

Comment ça se passe dans ton atelier ? Quelles sont les étapes dans la réalisation d’une œuvre de Lorenzo Dupuis ?

Mon atelier est derrière ma maison. J’y vais presque tous les jours pendant plusieurs heures. Je n’ai pas de routine précise. Avant de peindre, j’examine mes œuvres récentes et je tente de les évaluer. J’essaie de déterminer où sont les points faibles et les points forts. Ceci me donne une idée où commencer prochainement. La partie la plus difficile est le côté technique. Pour moi, préparer un nouveau panneau ou encadrer une œuvre est une tâche difficile. J’hésite toujours au moment d’entreprendre ces travaux. Mais, ce n’est pas le cas avec l’acte de peindre. Ceci m’intéresse. J’ai toujours hâte de commencer parce que c’est souvent une aventure. Pour maintenir l’esprit d’aventure, je cherche toujours de me sortir un peu de ma zone de confort. J’ajoute ou j’enlève quelques éléments de mon vocabulaire visuel pour me permettre d’avoir un pied dans l’inconnu. C’est dans l’inconnu où les aventures peuvent avoir lieu.

Quels types de sentiments t’habitent avant, pendant, et après la création d’une œuvre ?

J’essaye de me vider autant que possible. Je fais de mon mieux de ne pas avoir d’attentes, et de ne pas être motivé par les sentiments. Avec le temps, j’ai appris de me méfier des sentiments, surtout ceux qui sont souvent associés avec le succès. Si je sors de l’atelier en ressentissent de la joie, il y a une forte possibilité que j’aie imité un peintre que j’admire. Si, par contre, je sors de l’atelier avec l’esprit un peu confus ou frustré, je prends cela comme un bon signe. Cela veut peut-être dire que j’ai navigué dans l’inconnu et que j’ai été motivé par la curiosité et non par l’ambition qui mène souvent à l’imitation.

Quelle est l’idée qui a le plus contribué à enrichir ta propre réflexion sur les arts, en général ou plus particulièrement sur ton propre travail ?

C’est le principe d’unité et de diversité. L’art visuel est axé sur ce principe. Une œuvre d’art doit avoir de diverses couleurs, tonalités et de lignes qui sont à la fois unies ; c’est à dire, qui fonctionne bien ensemble. La diversité est assez facile à atteindre. L’unité, par contre, est très difficile. C’est un peu comme un voisinage composé de gens de différents groupes ethniques, de différents âges et disposant de différentes compétences. Si ces gens ont un but en commun et s’ils arrivent à coordonner leurs efforts et s’entraider, ils pourront alors réaliser un but commun et harmonieux. Pareillement, le peintre doit organiser son vocabulaire de façon à ce que tout ce qu’il met sur sa toile contribue à développer la même mélodie visuelle.

Quel regard ton travail porte-t-il sur la société ?

Mes œuvres ne portent pas de regard spécifique sur la société.  C’est mon but d’éviter ce genre de commentaire. J’ose plutôt célébrer ce qui est inaperçu.

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photo: Kenton Doupe

D’après toi, qui s’intéresse à ton travail ?

C’est difficile à dire. Je n’ai vraiment aucune idée. Je suis toujours surpris d’apprendre que quelqu’un a été touché par une de mes créations.

Quelles sont les répercussions de ton métier d’artiste professionnel sur ta vie, celle de tes proches et de ta communauté ?

 C’est très difficile de gagner sa vie comme peintre. Ce n’est pas très rentable financièrement. D’ailleurs, c’est très riche d’une autre façon. En se laissant entraîner par sa curiosité dans le but d’atteindre un résultat authentique, on arrive à cultiver à l’intérieur de soi même quelque chose de précieux, sans nom précis.

Quels artistes te sont une source d’inspiration ?

Il y a deux peintres qui m’inspirent énormément. Il y a Agnes Martin. Elle est originaire de la Saskatchewan (1912-2004). Il y a aussi Georgio Morandi, un peintre italien (1890 -1964). À première vue, ces deux peintres sont très différents l’un de l’autre. Mais, l’âme qui anime leurs œuvres se ressemble. Les œuvres des deux peintres déversent tranquillement une qualité méditative.

Quel livre prend une place particulière actuellement sur ta table de chevet ou dans ta bibliothèque ?

Je viens juste de commencer un livre de Gabrielle Roy intitulé Alexandre Chenevert, le caissier.

Quelle place prend la langue, d’une part dans ton quotidien, et d’autre part, dans ta pratique plastique ?

Ma langue m’est très importante. La radio est toujours allumée dans mon atelier où j’écoute « Radio-Canada ». J’adore les entrevues, les discussions et la musique. C’est une façon de maintenir et d’enrichir mon français et de me sentir en contacte avec les Francophones de la Saskatchewan, d’ailleurs au Canada et d’Europe. Comme cela, j’ai un atelier au plein milieu du cœur de la francophonie.

Tu peux nous dire un mot au sujet du collectif Sans Atelier ?

C’est une très bonne initiative. Les artistes ont besoin d’appui. Cet organisme tente de multiplier les occasions de rencontres par des causeries, des expositions et d’autres activités. Ce sont des choses essentielles, surtout pour les artistes francophones de chez nous qui sont en position minoritaire. J’ai hâte d’y participer.

DSC_3191Atelier de l’artiste, photo: Kenton Doupe

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